Nicolas Supiot devait participer au colloque de l'IFOAM (International Federation of Organic Agriculture Movements) à Rennes prévu en Septembre 2020. L'évènement ayant été annulé, Nicolas partage avec vous l'intervention qu'il avait préparée sur l'Autonomie Paysanne.
Résumé
L’autonomie correspond ici, à la capacité et le plein exercice de son libre arbitre dans ses choix agricoles. Ce principe, au fondement de l’agroécologie paysanne, est en lien avec des modes de production, de transformation et de commercialisation adéquats. Face à l’agriculture industrielle, des fermes innovent grâce à l’autonomie paysanne, avec au cœur de leur démarche la volonté d’une souveraineté alimentaire et culturelle. Le témoignage de Nicolas Supiot, Paysan-boulanger breton depuis 25 ans, donnera une illustration de ses récupérations de savoir-faire, appropriations et co-constructions de compétences nouvelles, adaptées et pertinentes pour sa ferme.
Contexte
L’agroécologie paysanne implique de s'affranchir des dépendances liées aux systèmes agro-industriels. La polyculture-élevage, les semences paysannes, la transformation et la vente directe permettent une réelle autonomie par l’optimisation financière des fermes au moyen de transformations réalisées in situ et par le rétablissement de la fertilité des sols par des pratiques agricoles innovantes. Elles ouvrent des voies nouvelles pouvant répondre aux enjeux cruciaux de notre époque (changement climatique ; souveraineté énergétique, technique, alimentaire et culturelle ; qualité nutritionnelle ; emplois). Ces lieux sont autant de fermes ressources pouvant préserver, valoriser, transmettre la biodiversité, les savoirs et savoir-faire et les moyens techniques associés.
L‘agroécologie paysanne répond de façon optimale aux enjeux et urgences de notre temps : (1) augmenter la résilience, (2) nourrir l’humanité de façon éthique et durable et (3) soutenir la nécessaire mutation de notre société.
Message et conclusions:
L’agroécologie paysanne, clef de la souveraineté alimentaire et culturelle des communautés locales : au-delà du respect d’un cahier des charges techniques, l’éthique de l’agroécologie paysanne assure la souveraineté alimentaire de communautés locales et restaure des savoir-faire traditionnels. Elle se nourrit également de connaissances nouvelles pour mettre en œuvre des pratiques vertueuses résolument innovantes. A ce titre, elle répond à trois enjeux mentionnés ci-dessus.
En termes de résilience face aux aléas environnementaux, économiques et politiques (1), la sélection des semences paysannes sur la ferme permet une adaptabilité optimale au changement climatique, mais aussi la mise en place de pratiques agronomiques et gastronomiques nouvelles et « autonomisantes ». Ainsi, la production de semences, sur un terroir particulier, et la transformation à la ferme soutiennent sur le long terme l’approvisionnement en graines de qualité, favorisant une autonomie économique et agronomique. Cela aboutit une réappropriation complète du métier de paysan, de la sélection jusqu’à la transformation et pour certains la vente. La sélection paysanne implique les procédés suivants :
- mélanges intra-variétaux et inter-spécifiques pour augmenter la diversité cultivée, elle-même essentielle à la résilience des cultures face à leur environnement, travail superficiel de sol et couvert végétal permanent aggradant la fertilité du sol et évitant le lessivage en optimisant la restitution du carbone… Ces pratiques préservent et augmentent la qualité des sols, en n’y ajoutant aucun engrais/intrants de synthèse.
- sélection de populations de froments adaptées à la panification au levain (contrairement aux variétés modernes), de populations de céréales protéagineuses et oléagineuses ignorées et à fort intérêt agronomique, nutritionnel et économique (sarrasin, caméline, blés poulards, féverole blanche ….). Conduites en associations, ces cultures garantissent une optimisation et une régularité du « rendement » ainsi que la restauration et le maintien de la fertilité du sol. Ces pratiques offrent une farine de grande qualité pour un pain à haute valeur nutritionnelle. En outre, les semences paysannes assurent une stabilité des récoltes dans le temps, vecteur de résilience face aux changements climatiques.
Par ailleurs, pour nourrir l’humanité de façon éthique et durable, les fermes en agroécologie telle que celle de Nicolas Supiot pratiquent la vente directe et en filières courtes et s’adressent à une communauté locale qui est partenaire de l’acte de production. Une porte ouverte annuelle offre une vision éthique et systémique des moyens mis en œuvre sur la ferme en partenariat avec les consommateurs au moyen de la « boussole NESO » (Naturel, Social, Énergie, Origine). Ainsi, les consommateurs ont une information totalement transparente des conditions de production et de transformation des produits qu’ils achètent, ce qui participe à leur conscientisation. De plus, l’engagement au Système Participatif de Garantie et la mention « Nature et Progrès » rendent lisible la participation à un mouvement social, puisque que ce sont les propres membres de l’association qui participent à la certification à aide à l’amélioration des pratiques agricoles et agronomiques des fermes. Ainsi, ce mode de certification place l’agroécologie paysanne en tant que projet de société durable et équitable. Ce point participe également à une autonomisation sociale, puisque des personnes s’organisent pour se certifier entre elles et avec le soutien de consommateurs informés et conscients.
Enfin, pour soutenir la mutation de notre société vers plus d’agroécologie, la transmission des savoirs et la formation sont des aspects essentiels. Ainsi, la recherche interdisciplinaire appliquée in situ en agroécologie paysanne (École Du Vivant) et la transmission du patrimoine bio culturel (Ecosite les jardins de Siloe) dans le cadre de formations permet de mutualiser et de diffuser ces connaissances appliquées. Celles-ci favorisent des installations de paysans et la reconstruction de filières courtes nourries d’authentiques relations humaines durables et solidaires (artisans transformateurs : meuniers, boulangers, bouchers, restaurateurs locaux...)
Références:
Rapport de Schutter FAO : http://www.srfood.org/images/stories/pdf/officialreports/20110308_a-hrc-16-49_agroecology_fr.pdf
Travaux de recherche participative avec Véronique Chable (INRA Rennes) et Delphine Sicard (INRA Montpellier)
http://www.farmseed.eu/Farm_Seed_Opportunities/home.html
site de Boussole NESO
Petit précis d'agroécologie. Nourriture, autonomie, paysannerie sous la direction de Silvia Pérez-Vitoria et Eduardo Sevilla Guzman. Paris, La ligne d'horizon, 2008
Articles de Nicolas Supiot dans la revue Nature et Progès n°59 octobre 2006 « semences et souveraineté alimentaire ; revue Nature et Progès 2018 dossier « Racines » de l’École Du Vivant